Abbaco |
Conversation avec Giulio Argan, 4 décembre 1977
Argan: Je trouve ce travail, portant le titre générique d'Abbaco, intéressant. Naturellement il ne faut pas le voir en termes de peinture ou de qualité picturale, c'est-à-dire en termes traditionnels, mais comme un travail sul l'image. En tant que travail sur l'image, la référence muséographique me semble appropriée. Je trouve valable que l'image soit prise dans la perspective de la mémoire enregistrée par le musée. En outre, la référence à l'art ancien me semble un acte de conscience à l'égard des techniques artistiques traditionnelles et de la nécessité d'un travail différent sur l'image. Il ne s'agit pas seulement de cela, mais aussi d'une séparation définitive entre l'image et l'objet. Naturellement, on pourrait discuter longuement sur ce travail, car il est sujet à prétextes: celui, en premier lieu, de considérer l'image de l'oeuvre d'art ancien comme un prototype de ses propres reproductions, en la prenant dans sa condition de reproduction. Il me semble que ceci implique la conscience, confirmée depuis Duchamp, que l'oeuvre du passé (et ce passé pourrait aller jusqu'à Picasso) dans le monde moderne et dans la situation actuelle vit par la reproduction. Autrement dit, onl'assujettit au processus de multiplication que le monde industrialisé nous a imposé. Il est certain que cette opération peut être réalisée parce que la condition d'intangibilité qui existait autrefois à l'égard d'une oeuvre d'art dans le musée a été dépassée. Si Duchamp n'avait pas mis des moustaches à la Joconde, Bertini aurait peut-être montré quelques remords. Bertini: Je ne sais pas; ma position est que... Argan: Votre position n'est pas une position désacralisante. Je voulais simplement dire que vous n'auriez pas eu l'idée d'effectuer une opération contemporaine sur un tableau ancien. Reste à voir si la combination d'une image historique et d'une image contemporaine est une façon de compromettre l'histoire dans le contemporain ou inversement, s'il n'ya pas là un dépassement du contemporain dans l'histoire. Probablement, il n'y a ni l'une ni l'autre situation. Il y a une superposition, une évocation de la mémoire historique, suscitée par un facteur contemporain. J'en suis d'autant plus persuadé, car vous avez choisi, en tant que source historique, le monde autour de Botticelli et de quelques artistes de Ferrare. Bertini: La référence historique, on la retrouve seulement dans les deux premiers tableaux. Les autres ont une référence proche de la chronique quotidienne. Argan: Oui, les autres sont tirés de la chronique, mais permettez ma déformation d'historien d'art qui, en voyant un tableau ancien, se demande immédiatament: qu'est-ce que Bertini va en faire? Pour moi, se pose en ce moment la nécessité de situer ces tableaux. Il est vrai que vous vous référez à la chronique, mais je me suis rendu compte qu'il y dans ces tableaux une composition extrêmement précise et intentionnelle. Par exemple, dans le tableau avec la femme allongée au premier plan et le “brigadiste” qui tire, vous avez ressenti le besoin d'appliquer des lois de composition bien précises. Le rapport entre les lignes horizontales et verticales est extrêmement défini. Dans d'autres tableaux, même sans la référence historique, je ressens tout autant un agencement qui nous vient du tableau historique. Ceci est valable pour un artiste cultuvé tel que vous. Car on perçoit vos intentions, comme on ressent Poussin et tableau historique qui se situent derriére Guernica de Picasso. Derrière Guernica il y a Poussin: c'est un tableau de Poussin traduit dans une terminologie actuelle, un actuel de l'époque. De la même manière, dans le tableau du “brigadiste” il y a clairement une structure de lignes horizontales et verticales. Lorque j'ai vu ce tableau j'ai pensé à Mondrian; je ne veux pas dire que j'ai émis là un jugement critique, mais il m'est venu une association mentale avec un tableau composé selon des horizontales et des verticales. Donc, avec une volonté de mettre au point la mire. Voilà pourquoi j'ai l'impression que vous êtes en train d'effectuer un travail sur l'image qui me semble très intéressant et qui me passionne parce que ce travail possède une épaisseur historique et qu'il s'exprime aussi par des références moins précise. |